1789 le cahier de doléances

Extrait du livre  "Les années révolutionnaires à Boux sous Salmaise":

 

En mars 1789, à la fin dun terrible hiver de froidure et de disette pendant lequel un froid sibérien avait sévi sept semaines et vu  la Seine, la Saône et la Loire totalement gelés, les communautés villageoises du Baillage de la Montagne dont le chef-lieu était Châtillon sur Seine, comme partout en France, se réunirent pour émettre leurs cahiers de doléances devant être porter par  leurs représentants appelés à siéger aux Etats Généraux qui avaient été convoqués par Louis XVI  dans lespoir de résoudre la crise financière dans laquelle était plongé le royaume.

A cette date le village de Boux est une communauté qui, depuis le XVIIème siècle, est une paroisse rattachée au chef-lieu ecclésiastique de Salmaise dont elle est une succursale, cette hiérarchie ecclésiastique se concrétise par exemple dans la collecte fiscale de la dîme vers Salmaise ou encore la détention de l’état civil. Au début du XVIIIème siècle avec la création de la seigneurie, elle sest autonomisée administrativement au fil des ans en même temps que sa population saccroissait. La paroisse est lunité fiscale de base du royaume. Boux est à lextrémité sud du baillage de la Montagne et à la frontière sud-est de celui dAuxois (où se situe par exemple Jailly les moulins).

 

Le cahier de doléances des habitants de Boux est rédigé le 13 mars 1789 et signé par 51 citoyens parmi lesquels les principaux protagonistes des années qui vont suivre, le premier signataire et rédacteur est Jean Arbey. La rédaction de ces dizaines de milliers de cahiers à travers le pays en mars 1789 est le résultat dun formidable élan citoyen qui a été préparé par le bouillonnement des débats qui ont suivi la décision de réunir les Etats Généraux. Lorsque les villages du Chatillonais et de lAuxois se réunirent leurs éléments les plus avancés avaient connaissance des propositions émises par le Tiers-Etat des villes. A Dijon lavocat Navier fut lauteur, en janvier, dune Requête au Roi qui joua le rôle dune charte du Tiers-Etat bourguignon et fut approuvée par les assemblées de Dijon, Semur, Montbard, Flavigny ; dans ce texte figuraient entre autres les revendications de représentation du Tiers-Etat et d’égalité devant limpôt qui allaient être reprises à peu près partout en zone rurale.  

La rédaction des cahiers de doléances sinscrit dans le cadre dune campagne électorale puisque destinée à choisir des députés devant se rendre à Versailles, cependant leurs programmes, leurs mandats, sont ceux définis par les assemblées des 3 ordres et en loccurrence celui du Tiers Etat à Boux. Le Tiers-Etat, cest-à-dire le peuple, les roturiers, lensemble de la population à lexception de la noblesse et du clergé.

On bâtit des programmes et ensuite on choisit ceux qui sont les plus capables de les porter, dabord dans les villes et villages, puis dans les baillages et finalement au niveau de la province. Les assemblées de rédaction des cahiers devaient être présidées par un juge royal ou seigneurial, ce fut un juge royal dans les villes et les villages qui en étaient proches mais la multiplication des assemblées et l’éloignement conduisirent à de très nombreuses présidences par des juges seigneuriaux ; ce fut le cas à Boux où lassemblée fut présidée par le juge Perrot dont la signature figure au bas de celles des comparants ainsi que celle de son greffier Tartevelle et il ne parait pas que cela ait pesé dans la fermeté des réclamations exprimées.

Parmi les milliers dautres cahiers écrits en cette fin dhiver, celui de Boux est aussi le reflet, le témoignage, des prémisses dun bouleversement historique, en voici le contenu :

 

 

‘Cahier de doléances, plaintes et remontrances de la paroisse de Boux sous Salmaise dressé en exécution des lettres du Roy données à Versailles le 24 janvier dernier pour la formation et tenue des États Généraux pour satisfaire au règlement y annexé et à l'ordonnance de monsieur le Lieutenant Général du Baillage de Châtillon sur Seyne du 27 février aussi dernier

 Art. 1.er

Que la masse des charges et impositions que supportent les paroisses des campagnes est énorme, à en juger surtout par celle de Boux qui est imposée à savoir en taille à deux mille quatre cents quatre-vingt Livres, en capitation à quatre  cents vingt-neuf Livres, en vingtièmes à mille cent soixante-sept Livres, en dixmes de tous grains, vins et chanvres quinze cents Livres et les corvées et les droits seigneuriaux qui peuvent faire un objet de cinq cents Livres, total six milles soixante et seize Livres; de sorte qu'étant évident que tous ces impôts et charges sont au moins aux deux tiers du revenu de la paroisse, il est de toute équité qu'il y ait une réforme.

Art. 2

Que cette surcharge d'impôts accablante qui s'est répandue sur le Tiers État est une injustice qui dérive particulièrement des vices et abus dont est infestée la Constitution des États de la province où même les droits de la nature sont violés envers le dit tiers ordre puisqu'il n'y paraît pas en représentants libres, choisis parmi ses mêmes et en nombre égal à celui des deux premiers ordres réunis.

Art. 3

Que pour assurer à l'avenir aux citoyens de la Bourgogne la jouissance de leurs biens, les habitants de la dite paroisse de Boux entendent que la Constitution des dits États de la province soit régénérée et qu'aucune partie de leurs propriétés ne puisse leur être enlevée par des impôts s'ils n'ont été préalablement consentis par les États Généraux du Royaume.

Art. 4

Qu'ils entendent également que les députés du tiers ordre tant aux dits États Généraux qu'aux États particuliers de la province soient en nombre au moins égal à ceux du Clergé et de la Noblesse réunis, qu'ils soient librement choisis par leurs pairs et parmi leurs pairs par tous les cantons, paroisses et communautés sans aucune exception dans la forme prescrite par le dit règlement du Roy du 24 janvier ; que les trois ordres votent par tête et ayant ensemble l'égalité d'influence dans tout ce qui sera confié à leurs décisions et administrations , et que les députés du Clergé soient choisis tant  dans le haut Clergé  que parmi les curés des villes, bourgs et villages.

Art. 5

Que Louis Hutin par son édit du 3 juillet 1315 ayant affranchie la féodalité personnelle il est réservé aux États Généraux de rétablir la liberté réelle. En conséquence les habitants entendent qu'à l'exemple de Philippe le Bon Duc de Bourgogne par son ordonnance de septembre 1424 qui affranchie sa terre de Faucogney et de celui de plusieurs de nos rois par leurs édits de 1539 et 1552 qui délivrent de la servitude des rentes foncières les maisons de plusieurs villes, les dits États Généraux éteignent, affranchissent et proscrivent à jamais la servitude de tous les droits féodaux et seigneuriaux notamment celle de la mainmorte dans tout le royaume et de pourvoir à l'indemnité des seigneurs ou de leur réserver le droits d'exercer leurs actions dans le courant de dix années seulement pour le remboursement des dits droits à dire d'experts amiablement choisis ou en Justice par-devant leurs juges et en ce cas que les vassaux ayant la liberté de payer aux deniers vingt avec intérêts du capital  des dits droits qui sera réglé par les dits experts sur une année de dix de revenu chacune en son endroit faire solidité jusqu'au remboursement du dit capital qu'ils feront à leur volonté , et qu'il soit dit que passées les dix années sans poursuite commencée les dites actions des seigneurs seront également éteintes et prescrites.

Que l'extinction de tous ces droits doit avoir lieu avec d'autant moins de difficulté qu'ils sont remplis d'inconvénients et de conséquences pernicieuses pour le repos du citoyen 1) ils donnent lieu à un grand nombre de procès ruineux 2) que les mainmortables ne peuvent se communiquer ni dans le commerce ni dans le mariage avec les personnes franches sans que celles-ci ne tombent et s'enchaînent dans leur servitude mixte 3)  et que les feudistes des terriers sont moins soigneux de conserver et d'augmenter leurs fonds qu'ils la négligent au contraire pour raison des charges perpétuelles et non rachetables dont ils sont chargés.

Art. 6

Que la dîme est encore une charge qui donne lieu à beaucoup d'inconvénients occasionne des procès considérables, gêne et est une entrave à l’agriculture qu’il faut protéger ; à cet effet les dits habitants entendent et désirent fermement que les Etats Généraux éteignent et abolissent toutes les dîmes de telles espèces qu’elles soient, à la charge seulement que les paroissiens acquittent envers leurs curés, vicaires, et desservants, la portion congrue telle qu’elle est réglée par le dernier édit, sans qu’elle puisse être diminuée ou augmentée que par les Etats Généraux ; laquelle portion congrue sera imposée sur les propriétaires de fonds dans chaque paroisse au marc la Livre des impositions royales, et la dite extinction n’aura néanmoins d’effet qu’aux décès,  démissions et résignations des bénéficiaires actuels qui possèdent et jouissent des dites dîmes.

Art. 7

Qu’attendu que la liberté personnelle a été rendue à tous les citoyens que selon le droit de nature chacun doit être franc, libre ; (expression tirée de l’édit ci-dessus cité de Louis Hutin) les dits habitants entendent que personne ne puisse emprisonner et détenir pour aucun motif qu’en vertu des lois du royaume.

Art. 8

Qu’ils consentent à l’établissement ou prorogation des subsides que les Etats Généraux jugeront indispensablement nécessaires aux besoins de l’Etat, toutes dépenses inutiles préalablement retranchées pourvu toutefois et non autrement que les impôts et charges quelconques même le droit de franchise qui distinguent les ordres soient supprimés et remplacés par des subsides également répartis entre tous les citoyens sans distinction ni privilèges à raison seulement de leurs propriétés.

Art. 9

Vu des fléaux qui affligent les campagnes, ce sont les pigeons fuyards qui sont multipliés à l’infini et qui causent une perte au moins d’un sixième dans toutes les espèces de graines, si le cultivateur sème sa semence est enlevée sans qu’il puisse s’en défendre et souvent sans qu’il s’en aperçoive. Ce n’est pas le seul mal que ces animaux causent, ils se mettent ordinairement sur les couverts non seulement ils les dégradent mais y laissent des fientes que les eaux pluviales portent dans les citernes, les infectent, les empoisonnent, et causent des maladies contagieuses qui ne contribuent pas peu à la dépopulation. C’est pourquoi les habitants de Boux demandent que ces animaux soient généralement détruits, qu’il ne soit permis de tenir que des pigeons patus qui ne s’écartent pas à deux lieux comme les fuyards.

 

Tel est leur cahier de doléances, plaintes et remontrances, en conséquence ils donnent pouvoir à leurs députés porteurs du présent cahier de présenter et faire valoir les articles ci-dessus et autres qu’ils jugeront bons pour raison, et même d’élire telles personnes suffisantes et capables avec les autres paroisses et juridictions dépendantes du baillage de Châtillon et autres pour assister aux dits Etats Généraux du royaume de France qui se tiendront à Versailles le vingt-sept  avril prochain.’

 

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